Présentation

Expédition Géorgie du Sud 2014 : sur les traces de Shackleton

I. Introduction

1. Contexte historique

L'année 2014 marque le centenaire du départ de l'expédition de Shackleton en Antarctique, qui avait pour but de traverser le continent Antarctique de part en part. Cette expédition s'inscrit dans la course à la découverte de l'Antarctique menée entre les pays européens, et principalement entre l'Angleterre et la Norvège. Ainsi, en juillet 2014, « l'Endurance » quitte l'Angleterre pour se rendre en mer de Weddell. Un deuxième bateau est préparé pour récupérer l'équipage qui aura traversé l'Antarctique.
Après un premier arrêt à Buenos Aires, l'Endurance se rend en Géorgie du Sud pour les derniers préparatifs. En route pour la mer de Weddell, l'Endurance rencontre les premières glaces le 7 décembre 1914, très au Nord du continent Antarctique et se retrouve très vite emprisonné de ces glaces. Le navire est finalement abandonné le 27 Octobre 1915 et coulera le 21 Novembre 1915 (Fig. 1). Commence alors une longue attente sur la banquise dans différents camps de base rudimentaires. Malheureusement, la dérive de la glace n'est pas favorable pour atteindre le continent. L'équipage se rend alors sur Elephant Island en Avril 1916, île dont ils se sont rapprochés au cours de leur dérive. Shackleton décide de partir avec un canot de sauvetage et quelques membres d'équipage pour tenter d'arriver en Géorgie du Sud, où se trouvent les baleiniers anglais et ainsi secourir le reste de l'équipage resté sur Elephant Island.

Il atteint la Géorgie du Sud 2 semaines après le départ d'Elephant Island, mais à l'opposé du village des baleiniers! A la suite d'un trek épuisant de 36h dans les montagnes de l'île, il distingue à l'aube le phare du village de baleinier. Après plusieurs tentatives, il récupère son équipage complet le 30 Août 1916.


2. But de l'expédition

Le but de l'expédition Géorgie du Sud 2014 est de reproduire en partie le trajet de l'expédition Shackleton pour fêter son centenaire. Le départ est prévu le 9 Octobre 2014 d'Ushuaia, puis escale à Elephant Island, avant d'aller en Géorgie du Sud (Figure 2). La traversée de la Géorgie du Sud sera réalisée sur environ 3 jours. La fin de l'expédition se déroulera dans les Iles Sandwich du Sud, pour finalement arriver aux Iles Malouines aux alentours du 16 Novembre 2014.

Cette expédition est organisée par l'association Pax Artica (www.paxarctica.org/), dont Luc Hardy est le président. Ce français habitant à New York est directeur d'une firme de conseil. L'expédition sera composée de Luc Hardy, d'un média (dans l'optique de réaliser un petit film sur l'expédition), d'un guide de haute montagne (Bernard François), d'une sportive de haut niveau (Géraldine Fasnacht) et de 4 Anglais qui leveront des fonds pour les soldats blessés. Luc Hardy a déjà organisé de nombreuses expédition dans les zones polaires, que ce soit en Arctique ou en Antarctique. Bernard François est quant à lui l'un des rares hommes à avoir atteint les 3 pôles (l'Everest, le Pôle Sud et le Pôle Nord). D'un point de vue scientifique, cette expédition est une campagne d'opportunité, permise grâce au navire choisi.

L'expédition sera menée à bord d'un bateau à voile, l'Australis (http://www.oceanexpeditions.com/the-fleet/australis/). Ce bateau de 23 m de long est équipé notamment de laboratoires humides et secs, permettant la mise en place d'expérimentations océaniques.

II Contexte et but scientifique

1. Contexte scientifique

Cette région est située dans l'Océan Antarctique, océan principalement régi par le Courant Circumpolaire Antarctique (nommé ACC par la suite). L'ACC s 'écoule d'Ouest en Est et est très important dans la dynamique océanique mondiale vu qu'il est le seul courant établissant la liaison entre les 3 océans principaux (Indien, Atlantique et Pacifique). Cette caractéristique lui confère un rôle prépondérant dans la circulation thermohaline et sa régulation. Enfin, ce courant isole le continent Antarctique.

Il est donc nécessaire de mieux comprendre ce courant. Une grande partie des études de ce courant est menée au niveau du Passage de Drake, étranglement entre la Terre de Feu et la péninsule Antarctique à travers lequel seul l'ACC s'écoule. C'est notamment le cas des campagnes historiques du programme ISOS (International Southern Ocean Study) de 1974 à 1981 qui a établi la structure en 3 fronts de l'ACC (Nowlin et al., 1977) : du Nord au Sud : le Front Subantarctique, le Front Polaire et le Front Sud de l'ACC (Fig. 3). Ce programme a permis la première estimation du transport volumique de l'ACC à 134.1 Sv avec un écart-type de 11 Sv (Whitworth et al., 1982 ; Whitworth, 1983 ; Whitworth and Peterson, 1985). Les incertitudes ont été estimées ultérieurement entre 15-27 Sv (Cunningham et al., 2003). Cependant, l'étude in situ de cette région reste compliquée à cause de conditions météorologiques très défavorables au déploiement de mouillages par exemple.

Depuis environ 50 ans et le développement des satellites, de nouvelles données sont disponibles tout au long de l'année. Les satellites peuvent échantillonner la température de surface, la salinité, mais aussi la couleur de la mer, ce qui permet de repérer les efflorescences chlorophylliennes notamment.
Depuis 1992, les satellites altimétriques mesurent la hauteur de la mer, ce qui permet de calculer des vitesses géostrophiques de surface, qui s'avèrent être proches des données in situ au niveau du Passage de Drake (entre le Sud de l'Amérique du Sud et la Péninsule Antarctique) (Ferrari et al., 2012; Ferrari et al., 2013 ; Barré et al., 2011).

Grâce à la combinaison altimétrie/données in situ, une série temporelle de transport volumique de l'ACC de 1992 à 2012 au niveau du Passage de Drake a été calculée (Koenig et al., 2014). Cette série apporte des informations importantes dans la compréhension du fonctionnement de l'ACC. Par exemple, malgré une augmentation du vent sur les 30 dernières années, le transport volumique de l'ACC reste stable.

La zone de l'expédition présente des variations d'anomalies de hauteur de la mer, avec des zones tourbillonnaires clairement visibles. (Fig. 4). Notamment, au sud de la Géorgie du Sud et à l'Ouest des îles sandwich (std de la sla : 5cm). De plus, une hausse globale des anomalies de hauteur de la mer est observée sur la période 1992-2012 (environ 0.05 cm/an).


D'un point de vue biogéochimique, l'Océan Austral, une des régions les plus riches au monde en phytoplancton, est sous un régime HNLC (High Nutrient, Low Carbon) (Fig.4). La concentration de phytoplancton est élevée mais est cependant relativement faible au vu de la très grande quantité de nutriments. Les éléments limitants aux développements du phytoplancton sont toujours inconnus, même si plusieurs hypothèses ont déjà été avancées (la limitation en fer notamment ou la forte concentration de zooplancton). Cette zone du globe est la pompe la plus active de l'Océan pour le CO2. Dans le cadre du réchauffement climatique l'évolution de cette pompe est une question importante.

Les cartes présentées sont des cartes du mois d'Octobre de couleur de la mer pour les 4 dernières années. Le mois d'octobre (soit le début du printemps austral) marque aussi le début de l'efflorescence, avec de la chlorophylle présente dans la région en relativement haute concentration. Une variabilité interannuelle est observée, avec des efflorescences plus ou moins importantes selon l'année.


2. Déploiement de flotteurs Argo

La région de l'expédition, entre la Géorgie du Sud et les Iles Sandwich, est un véritable cul de sac (fig. 3) mal échantillonné d'un point de vue océanographique. En effet, la localisation des flotteurs Argo sur les 4 dernières années montre un nombre très restreint de flotteurs entre la Géorgie du Sud et les îles Sandwich, ainsi que dans le sud de l'ACC dans le passage de Drake. Deux flotteurs Argo (D7900078 en 2009 et D1901250 en 2010) suggèrent une recirculation locale entre la Géorgie du Sud et les îles Sandwich. Seuls deux flotteurs à notre connaissance ont fait des profiles répétés dans cette région en 2012-2013 : D5901384 et D3901091.

Des études combinant les données de température et salinité des profils Argo et des données satellite d'anomalies de hauteur de la mer ont permis de découvrir des recirculations dans l'océan Austral encore jamais observées. Barré et al., 2008 établit une première vision de la recirculation dans le bassin de Ona avec un flotteur ARGO piégé pendant 3 ans. Cette circulation est confirmée par des données de mouillages (Ferrari et al., 2013).

D'un point de vue physique, il serait intéressant de pouvoir échantillonner des tourbillons de méso-échelle mais aussi de pouvoir localiser précisément le SACCF-S au niveau de la Géorgie du Sud. En effet, des études récentes montrent que le SACCF passerait à l'Ouest de la Géorgie du Sud et non plus à l'Est (Thorpe et al., 2012).

Nous disposerons de 3 flotteurs Argo (pour échantillonner la physique) et d'un flotteur Provbio (pour échantillonner la biologie). Deux seront mis à l'eau aux environs du point 59°S,28°W pour échantillonner la zone toubillonnaire entre la Géorgie du Sud et les Iles Sandwich. Le troisième et le profil Provbio seront mis à l'eau aux environs de 50°W,60.5°S pour que ce flotteur soit emmené par le SACCF-S et obtenir ainsi des informations sur la trajectoire de ce front et des informations sur l'évolution des masses d'eau pendant que ce front se dirige vers le Nord.
La bathymétrie de la région permet un déploiement jusqu'à 2000m des profileurs Argo (Fig. 6). Un pas d'échantillonnage plus court (de 3 à 5 jours) que les 10 jours habituels pour les profileurs Argo serait intéressant pour :

1. Echantillonner précisément la zone tourbillonnaire

2. Echantillonner à haute résolution temporelle le front SACCF-S, qui présente des vitesses de l'ordre de 10 cm/s en surface (Koenig et al., sub).

Nous allons aussi déployer des bouées dérivantes de surface (SVP) pour avoir des
informations sur le courant de surface.


3. Etude de l'atmosphère
Les flux de poussières sur l'océan Austral sont susceptibles de déterminer la productivité primaire phytoplanctonique des eaux de surface de cet océan en apportant des micronutriments comme le fer. La croissance du plancton consomme à la fois des micronutriments et du carbone inorganique qui sera puisé dans l'atmosphère sous forme de dioxyde de carbone. Les quantités de dioxyde de carbone atmosphérique, gaz à effet de serre, varient donc sous l'influence de l'alimentation de l'océan austral en micronutriments apportés par les poussières. La composition chimique de ces poussières en différents micronutriments va donc aussi avoir une influence sur la capture du dioxyde de carbone atmosphérique par l'océan. La neige qui se dépose sur les îles contient des quantités de poussières représentatives de leur dépôt sur les surfaces océaniques alentour.
Nous collecterons des échantillons de neige à prélever aux abords du chemin parcouru par l'expédition sur des surfaces enneigées. On utilisera des flacons en plastique de 125 mL pour récolter cette neige et on analysera sa composition chimique en micronutrients (Fe, P, Mn, Si, ....) une fois de retour au laboratoire. Ces données permettront de calculer les flux de micronutriments tombant dans l'océan et d'en déduire leur possible impact sur la productivité primaire et donc sur l'efficacité de cet océan pour faire disparaître le dioxyde de carbone atmosphérique.


III. Projet éducatif

Un projet éducatif va être mis en place autour de cette expédition en partenariat avec l'association APEX France. Une interface internet va être crée pour permettre un suivi du bateau pendant l'expédition. Plusieurs fiches concernant l'histoire de la région, sa géologie, l'ACC, la faune et la flore locale seront mises à la disposition des enseignantset leur permettra d'orienter une session de cours si ils le souhaitent. Ces fiches permettront donc aux professeurs de collège/lycée d'avoir une base scientifique de la région, qui pourra être la base d'exercices ou de séances de TD par exemple.

Deux webinars seront aussi organisés, un en amont de l'expédition (le 25 septembre, heure à préciser) et au retour de l'expédition (le 19 décembre, heure à préciser).

Un échange sera aussi mené pendant l'expédition par mail, et les flotteurs ainsi que le bateau pourront être suivis en temps réels.


Références :

Ferrari, R., Provost, C., Sennéchael, N., & Lee, J. H. (2013). Circulation in Drake Passage revisited using new current time series and satellite altimetry: 2. The Ona Basin. Journal of Geophysical Research: Oceans, 118(1), 147-165.
Thorpe, S. E., Heywood, K. J., Brandon, M. A., & Stevens, D. P. (2002). Variability of the southern Antarctic Circumpolar Current front north of South Georgia. Journal of Marine Systems, 37(1), 87-105.

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